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Kokyu Studio, un Laboratoire pour le Performer-Guerrier

Kokyu Studio, a Laboratory for the Performer-Warrior

RÉSUMÉ

Cet article questionne le dialogue transculturel entre les principes des recherches de Jerzy Grotowski et les pratiques martiales japonaises, promu par le travail de laboratoire du Kokyu Studio à l’Institut Grotowski de Wroclaw. En se fondant sur une recherche de terrain réalisée en 2020, il s’agit d’analyser comment s’opère, pour le performer, le transfert de qualités psycho-physiques et spirituelles, de l’éthique martiale et d’une culture de soi développées par l’aïkido et le misogi harai. Les témoignages recueillis et observations réalisées permettent d’aborder concrètement en quoi le travail de l’acteur se modifie pour construire en lui le performer-guerrier d’un théâtre ritualisé.

Mots-clés:
Jerzy Grotowski; Art Martial; Laboratoire; Performer; Rituel

ABSTRACT

This article investigates the transcultural dialogue between the principles of Jerzy Grotowski’s researches and Japanese martial practices, promoted by the laboratory work of the Kokyu Studio at the Grotowski Institute in Wroclaw. Based on field research conducted in 2020, the aim is to analyse how the transfer of psycho-physical and spiritual qualities, martial ethics and a culture of the self developed by aikido and misogi harai takes place for the performer. The testimonies collected and observations made allow us to concretely examine how the actor’s work is modified in order to build the performer-warrior of a ritualized theatre.

Keywords:
Jerzy Grotowski; Laboratory; Martial Art; Performer; Ritual

RESUMO

Este artigo questiona o diálogo transcultural entre os princípios das pesquisas de Jerzy Grotowski e as práticas marciais japonesas, promovido pelo trabalho de laboratório do Kokyu Studio do Instituto Grotowski [Grotowski Institute] em Wroclaw. Com base na pesquisa de campo realizada em 2020, o objetivo deste texto é analisar como ocorre a transferência das qualidades psicofísicas e espirituais, da ética marcial e de uma cultura de si mesmo, desenvolvidas pelo aikido e pelo misogi harai. Os depoimentos recolhidos e as observações efetuadas permitem abordar de forma concreta como o trabalho do ator se transforma para construir um performer-guerreiro1 1 NT.: a autora optou, na versão original em francês, em escrever de forma inclusiva, diferenciando masculino e feminino, entretanto, escolheu manter a palavra performer apenas no masculino, por considerá-la palavra estrangeira. Mantive as opções da autora na versão em português. para um teatro ritualizado.

Palavras-chave:
Jerzy Grotowski; Artes Marciais; Laboratório; Performer; Ritual

Cet article est le fruit d’une recherche de terrain que j’ai eu la chance de mener au cours de l’année 2020 au sein de l’Institut Grotowski de Wroclaw (Pologne). L’objectif en était d’observer et d’analyser les spécificités du travail de laboratoire proposé par Przemyslaw Blaszczak et Joanna Kurzynska dans le cadre du Kokyu Studio. La méthodologie que je me suis proposée de suivre se réfère à la Grounded theory (Paillé; Mucchielli, 2003PAILLÉ, Pierre; MUCCHIELLI, Alex. L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. Paris: Armand Colin, 2003.), méthode inductive qui s’appuie sur le croisement d’observations et de témoignages permettant de faire émerger les fondements de ce travail, dans une dimension qualitative.

Les activités du Kokyu Studio attirent des artistes de la scène de nombreux pays3 3 En 2020, les participant·e·s sont venu·e·s de Pologne, Angleterre, Grèce, Turquie, Espagne, Allemagne, France, Italie, USA, malgré les restrictions sanitaires de mars à décembre 2020. pour un temps de travail d’une durée allant d’une semaine à plusieurs années. Ce rayonnement peut être compris comme la marque qu’un travail spécifique y est développé, fondé sur une approche particulière du performer en tant qu’artiste et que personne. Le terrain de cette recherche concerne quinze artistes impliqués dans le laboratoire du Kokyu Studio de différentes manières4 4 Je remercie chaleureusement pour leur accueil et leur participation à cette recherche Jaroslaw Fret, directeur de l’Institut Grotowski de Wroclaw et de la compagnie Teatr Zar, Przemyslaw Blaszczak et Joanna Kurzynska qui dirigent conjointement le Kokyu Studio, Anita Szymanska, Martine Vrieling van Tuijl et Marie Walker, les trois comédiennes permanentes du Kokyu Studio, ainsi que huit comédien·ne·s suivant le programme de formation annuel de formation et de recherche du Kokyu Studio en 2020-21. . Le matériau de recherche utilisé pour cet article se compose d’une part d’observations de séances de travail suivies au cours des workshops, du programme annuel de formation et de recherche, et des répétitions de la performance I Come to You River - Ophelia Fractured5 5 Indiquée ICTYR dans la suite de cet article. Création au Festival Shakespeare de Gdansk (Pologne), novembre 2020. , d’autre part d’entretiens réalisés auprès de chaque participant·e. Par ailleurs, l’expérimentation personnelle pratique constitue également une source sensible et ouvre, du point de vue méthodologique, une dimension incarnée à cette recherche.

Il ne s’agit pas ici de présenter de façon exhaustive les pratiques auxquelles j’ai pu assister ou participer, mais de mettre en lumière, à travers l’analyse de quelques moments de travail et de témoignages, la façon dont ce laboratoire crée un lien nouveau entre l’héritage grotowskien et des pratiques martiales japonaises, aussi bien du point de vue de l’éthique que des processus artistiques, en explorant la figure du guerrier, employée par Antonin Artaud et Jerzy Grotowski. Je propose ainsi d’interroger en premier lieu la filiation de cette démarche de laboratoire avec les travaux de Jerzy Grotowski, puis d’analyser selon quels paradigmes l’implication de l’aïkido6 6 Art martial japonais contemporain créé par Ueshiba Morihei entre les années 1920 et 1940. et du misogi harai7 7 Pratique rituelle de purification basée sur le souffle et le cri. nourrit le travail du performer dans ce cadre de référence, faisant par cela même émerger la notion de performer-guerrier.

Un Laboratoire qui S’inscrit dans la Filiation de Jerzy Grotowski

L’Institut Grotowski de Wroclaw (Pologne) est reconnu internationalement comme l’un des deux lieux où, par des voies différentes, la filiation grotowskienne se poursuit8 8 Avec le Workcenter of Jerzy Grotowski and Thomas Richards, Pontedera (Italie). . Le travail de laboratoire continue à s’y développer, dans les murs même où Jerzy Grotowski a installé le Théâtre Laboratoire en 1962 et où l’essentiel de son activité s’est déroulé jusqu’à son départ de Pologne au début des années 1980. Depuis une dizaine d’années, le directeur de l’Institut, Jaroslaw Fret9 9 Jaroslaw Fret est également chanteur, performer, metteur en scène et directeur de la compagnie Teatr Zar. , a l’ambition d’y encourager le développement de studios autonomes:

Parce qu’après six ou sept ans [de travail commun], je ne pouvais plus demander à mes collègues d’avoir un training unique. Nous sommes donc arrivés à un moment où il devenait très important, et c’est une leçon tirée de Grotowski, que chacun des acteurs du groupe puisse développer et organiser ses propres activités. C’est pourquoi j’ai proposé un travail en studios (Fret, 2020FRET, Jaroslaw. Entretien personnel, visioconférence du 30 avril 2020., n.p.).

Ainsi, différents studios se sont ouverts au sein de l’Institut Grotowski depuis 2010, espaces d’explorations de pratiques pré-expressives centrées sur la voix et le corps, dans le cadre de programmes de formation annuels, de workshops, et de sessions de recherche pour le performer. Le but central de ce travail de studio pour Jaroslaw Fret était de former des performers possédant une pratique approfondie du corps. Le domaine choisi pendant plusieurs années a été celui des arts martiaux - capoeira, kalarippayatt et aïkido - choix qu’il explique ainsi:

Nous avons donc choisi les arts martiaux parce qu’ils n’appartiennent à aucun domaine où l’expressivité est en question. Et nous avons commencé à travailler dans des groupes, des sections, que nous appelons ‘studios’. Przemyslaw [Blaszczak] était le chef de file de l’un d’entre eux basé sur l’aïkido (Fret, 2020FRET, Jaroslaw. Entretien personnel, visioconférence du 30 avril 2020., n.p.).

Fret précise que les trois arts martiaux qui ont donné naissance à ces studios permettent de développer de trois manières différentes des principes fondamentaux du jeu pour le chanteur et le performer, en particulier le travail de la colonne vertébrale, de la respiration et de la relation au partenaire10 10 “Pourquoi avons-nous choisi trois arts martiaux différents, issus de traditions très différentes? [...] Au début, ma question était: comment la colonne vertébrale fonctionne-t-elle dans différentes traditions? Parce que le souffle est l’action fondamentale et la colonne vertébrale est l’instrument fondamental. Donc, par ces différents arts martiaux, je voulais étudier, ce que signifie pratiquer cet instrument [...]. Mais la plus profonde raison de ce choix était la recherche d’une définition de l’Autre. Qui est en face? C’est une question fondamentale pour l’acteur” (Fret, 2020, n.p.). . Cette démarche relève de la nécessité que Grotowski a souligné à de nombreuses reprises, notamment à l’époque de “l’art comme véhicule” (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997., plage d’écoute 79), d’une pratique profonde, sérieuse, par laquelle le performer peut chercher, et peut-être atteindre, la haute connexion11 11 Expression utilisée à plusieurs reprises par Jerzy Grotowski (1995, p. 189) à l’époque de “[...] l’art comme véhicule” pour indiquer la dimension subtile de l’énergie. . Lorsqu’il pose la question “Comment aboutir à cette échelle de passage du biologique, de l’organique vers le subtil?” (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997., plage d’écoute 96), Grotowski, qui a travaillé à partir du yoga dès l’époque du Théâtre Laboratoire, précise qu’il n’existe pas de monopole et que les arts martiaux font partie des pratiques possibles, tout comme le yoga (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997., plage d’écoute 95). La création de ces studios basés sur les arts martiaux s’inscrit donc dans une forme de continuité de la recherche engagée par Grotowski sur les pratiques psycho-physiques et spirituelles.

Depuis 2010, l’histoire des studios créés par Jaroslaw Fret a évolué. Certains studios ont fusionné, d’autres ont disparu. Seul le Kokyu Studio poursuit une activité permanente. Sa structure actuelle a été fondée en 2016 à l’initiative de Przemyslaw Blaszczak à qui Joanna Kurzynska s’est associée en tant que comédienne et chanteuse pour le travail vocal. Le mot japonais kokyu désigne le cycle inspiration/expiration, donc la respiration, source de toute énergie et de tout mouvement selon la pensée du fondateur de l’aïkido Ueshiba Morihei (Stevens, 2003STEVENS, John. La Philosophie de l’aïkido. Noisy-sur-École: Budo Éditions, 2003., p. 21-22). Ainsi de nombreuses techniques d’aïkido portent un nom intégrant cette notion fondamentale . Ce choix de l’appellation Kokyu Studio indique donc que la pratique de l’aïkido est au centre de la démarche artistique qui y est proposée. Aujourd’hui, il est accueilli dans les locaux de l’Institut Grotowski dont il est devenu un partenaire autonome.

Przemyslaw Blaszczak: un performer à la croisée des arts martiaux et de la filiation grotowskienne

Le parcours artistique singulier de Blaszczak constitue le substrat de ce qui est développé au Kokyu Studio. Originaire de Wroclaw, il fait partie, comme il le dit lui-même, de la “génération Bruce Lee” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.) fascinée par les combats spectaculaires des films de kung fu. Il a pratiqué de nombreuses années le karaté, puis quelques temps le kickboxing et la boxe, avant de découvrir l’aïkido13 13 Il est actuellement 3e Dan de l’Aïkikaï de Wroclaw et enseigne dans son dojo. . Dès le début de son parcours de comédien, au sein de la compagnie Song of the Goat Theatre, dont il fit partie pendant quatre ans à partir de 1995, il put mettre en lien ses compétences physiques avec le travail théâtral. Puis il collabora pendant quinze ans avec la compagnie Teatr Zar. Il y trouva une place particulière en tant que leader du training dans lequel il introduisit des éléments issus de ses pratiques martiales.

Du point de vue de sa formation d’acteur, il peut affirmer qu’il se situe dans la “famille Grotowski”14 14 Bien qu’il n’ait rencontré Grotowski lui-même qu’à une seule occasion em 1997. (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.), via le travail avec Zygmunt Molik - dont la rencontre a été déterminante pour lui -, Wlodzimierz Staniewski et Jaroslaw Fret17 17 Voir supra, note 9. . Blaszczak n’a pas de formation académique, mais a reçu les enseignements de ces artistes polonais qu’il considère comme ses maîtres, auxquels il ajoute le metteur en scène et pédagogue grec Theodoros Terzopoulos , son “maître attitré” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). Il se trouve ainsi à la croisée de plusieurs approches qu’il a faites siennes: d’une part d’approches théâtrales centrées sur la notion de performance et mettant l’accent sur la nécessité d’un travail à la fois physique et vocal du performer et, d’autre part, d’une approche martiale personnelle, construite depuis l’enfance.

Une Démarche de Laboratoire

Kokyu Studio s’inscrit dans l’héritage des laboratoires de recherche de la Grande Réforme développés dans la Russie du début du 20e siècle par Stanislavski, Vakhtangov et Meyerhold, auxquels l’appellation studio est empruntée, et de la Seconde Réforme représentée par le Théâtre Laboratoire de Jerzy Grotowski.

Grotowski a apporté une définition du laboratoire théâtral dans l’article intitulé Recherche sur la méthode20 20 Texte publié dans la revue Tygodnik Kulturalny (Varsovie, 17/1967), réédité dans Grotowski (1971, p. 95-100). en établissant une comparaison avec l’institut scientifique Bohr: “[...] [des physiciens] qui font les premiers pas dans le no man’s land de leur profession [et puisent] dans la mémoire collective de l’Institut” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 95). Un laboratoire théâtral est ainsi, selon Grotowski, un lieu de dépassement du connu, des savoir-faire, de l’expertise des professionnels de théâtre impliqués, afin de pénétrer dans de nouveaux champs de la création en se fondant sur des outils mis en commun, issus de la connaissance et de l’expérience du groupe. Si l’on se réfère à cette formulation, en quoi le Kokyu Studio est-il un laboratoire? Il s’agit de considérer tout d’abord que tou·te·s les participant·e·s sont des praticien·ne·s qui expérimentent ensemble et découvrent des structures, c’est-à-dire des compositions, partitions gestuelles et textuelles qui sont autant de no man’s land. La mémoire collective , quant à elle, prend ici plusieurs sens, puisqu’il s’agit à la fois de la mémoire de ce qui est expérimenté ensemble au fil du travail et de celle de l’Institut Grotowski lui-même. En effet, des écrits de Grotowski sont fréquemment mis en lecture et discutés pendant les séances, des performances21 21 J’ai assisté en particulier à la projection de la captation du Prince Constant, présentée au groupe du Kokyu Studio par le documentaliste de l’Institut Grotowski qui a pris soin de la contextualiser et d’en donner quelques clefs. de l’époque du Théâtre Laboratoire sont projetées et analysées en groupe, constituant un ensemble de références et d’outils communs. Ainsi se construit une mémoire collective diachronique qui intègre au présent vécu une appropriation commune des recherches de Jerzy Grotowski. Par les incitations aux découvertes individuelles, aux explorations spontanées, il s’agit d’entrer dans les no man’s land de chacun·e et d’y construire un parcours performatif personnel, en se fondant sur les principes de cette mémoire partagée.

Dispositifs et Pratiques de Laboratoire

Les activités du Kokyu Studio se déclinent en plusieurs dispositifs de formation-recherche et de création: des workshops intensifs saisonniers (Winterclass et Summerclass22 22 Qui se déroule sur la base forestière de l’Institut Grotowski à Brzezinka. ), un programme annuel de dix jours par mois sur dix mois, des sessions hebdomadaires de pratique de l’aïkido ouvertes à tou·te·s et un groupe permanent de création.

Dans ces différents dispositifs, Kokyu Studio propose d’explorer des pratiques de training et d’expérimentation du geste et de la voix. Ainsi, deux fois par semaine la salle de répétition se transforme en dojo23 23 Mot japonais signifiant littéralement lieu de la Voie, le dojo est l’espace consacré à la pratique martiale. où les performers s’initient à l’aïkido et au misogi harai. Par ailleurs un training spécifique est partagé au début de chaque journée de travail: le Kokyu training. Il s’agit d’un enchaînement d’environ une heure créé par Blaszczak à partir de plusieurs sources: des éléments du training de Theodoros Terzopoulos, du misogi harai, de l’aïkido, du taïso24 24 Pratique interne japonaise permettant la préparation physique et psychique avant les séances d’aïkido, et qui peut aussi se pratiquer de façon autonome. , ou encore du shintaïdo25 25 Art martial japonais contemporain. . Il explique ainsi les objectifs de cet enchaînement:

Je suis parti de ce que je ressentais moi-même, en me demandant quelles parties du corps doivent être activées pour préparer le performer. Et j’ai cherché le meilleur ordre pour créer une manière naturelle. J’ai également cherché le travail d’ouverture du souffle. [...]. J’ai dû travailler principalement sur le centre (pelvis) et les jambes. Le but est d’aller vers la voix. Le Kokyu training peut se faire avec des sons. On ouvre la voie à la respiration puis à la voix. Pour moi, le corps est un seul muscle. Je travaille en alternance tension/détente sur l’ensemble. Dans la vie de tous les jours, les gens sont divisés. Je cherche la connexion avec le cœur, je trouve l’accord avec le centre (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.).

La pratique vocale, abordée par Joanna Kurzynska vise également à l’unité: “Il n’y a pas de limite entre la voix et le corps. Je cherche une image totale du performer” (Kurzynska, 2021KURZYNSKA, Joanna. Entretien personnel, visioconférence du 21 janvier 2021., n.p.) peut-elle affirmer. Son approche, basée sur la méthode de Kristin Linklater (2006)LINKLATER, Kristin. Freeing the Natural Voice: Imagery and Art in the Practice of Voice. London: Drama Publishers, 2006. ainsi que sur le partage de chants traditionnels de plusieurs origines, vise à trouver sa “voix réelle [...] voix naturelle et unique à chaque personne” (Kurzynska, 2021KURZYNSKA, Joanna. Entretien personnel, visioconférence du 21 janvier 2021., n.p.). Elle guide des sessions de plusieurs heures d’exploration dans les divers dispositifs du Kokyu Studio qui entrent en résonnance avec l’approche vibratoire développée dans le misogi harai et le Kokyu training lorsqu’il est pratiqué avec les sons.

Image 1
Séance d’aïkido.
Image 2
Entraînement au bokken, Summerclass 2020, Brzezinka, Pologne.

Dans les différents dispositifs, la démarche proposée vise à développer un dialogue entre spontanéité et discipline/structure26 26 Ce dialogue est analysé dans la deuxième partie du présent article. , dialogue fécond qui se réfère aux recherches de Jerzy Grotowski (1971, p. 176)GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971..

Enfin, la création de performances27 27 Trois performances du Kokyu Studio ont été représentées depuis sa création: Welcome to My House: a Meditation on ‘The Woman in the Dunes’ (2016), Halo (2018) et I Come to You River - Ophelia Fractured (2020). est également l’objet du Kokyu Studio, dans une dynamique de recherche impliquant le performer sur les plans de l’écriture du texte et des partitions physiques, travail fondé sur la ligne des actions physiques héritée de Konstantin Stanislavski (Knebel, 2006KNEBEL, Maria. L’Analyse-Action. Arles: Actes Sud-Papiers, 2006.) et poursuivie par Jerzy Grotowski dans sa dimension organique (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997.).

D’après les témoignages recueillis auprès des participant·e·s, les références à cette dynamique de laboratoire et aux recherches de Grotowski constituent la motivation première des acteur·rice·s venu·e·s de divers pays, de façon beaucoup plus significative que l’implication de l’aïkido qui est, pour la plupart d’entre eux/elles, une nouveauté.

La Quête du Performer-Guerrier

La notion de guerrier a été associée à celle de performer par Grotowski dans son texte intitulé Performer28 28 Une première version de ce texte a été rendue publique par Georges Banu sous la forme d’un ensemble de notes prises lors de discussions avec Jerzy Grotowski (Banu, 1987). Jerzy Grotowski l’a ensuite modifiée et a publié sa version definitive en 1988 dans Workcenter of Jerzy Grotowski, Pontedera, Italie, Centro per la Sperimentazione e la Ricerca Teatrale (1988, p. 36-41); réédité dans Schechner et Wolford (1997, p. 376-380). :

Performer, avec une majuscule, est un homme d’action. Il n’est pas quelqu’un qui joue un autre. C’est un acteur [a doer], un prêtre, un guerrier; il est en dehors des genres esthétiques. [...] toutes les écritures parlent du guerrier. On le retrouve aussi bien dans la tradition hindoue que dans la tradition africaine. C’est quelqu’un qui est conscient de sa propre mortalité. [...] Pour avoir la connaissance il doit se battre parce que la pulsion de vie devient plus forte et plus articulée dans les moments de grande intensité et de danger. Le danger et la chance vont de pair (Schechner; Wolford, 1997SCHECHNER, Richard; WOLFORD, Lisa. The Grotowski Sourcebook. London and New York: Routledge, 1997., p. 376-377)29 29 “Performer, with a capital letter, is a man of action. He is not somebody who plays another. He is a doer, a priest, a warrior; he is outside aesthetic genres. [...] all scriptures speak of the warrior. You can find him in the Hindu tradition as well as the African one. He is somebody who is conscious of his own mortality. [...] To conquer knowledge he fights, because the pulsation of life becomes stronger and more articulated in the moments of great intensity, of danger. Danger and chance go together” (Traduit par nos soins). .

Grotowski se réfère ici aux textes de plusieurs traditions sacrées, évoquant par exemple les vratyas30 30 Hordes rebelles composées souvent de brahmanes ayant rompu avec leur caste, présentes dans plusieurs textes hindous, dont le Rig Veda et le Tandya-Mahâbrâhmana. Selon les sources, elles regroupent ascètes errants, médecins, guerriers, ou encore magiciens adorateurs des éléments de la nature. Par ailleurs, Grotowski les compare aux gnostiques chrétiens (Grotowski, 1997, plage d’écoute 67). hindous mais aussi Saint Paul, dans la première version du texte (Banu, 1987BANU, Georges. Grotowski à l’académie de Pontedera. Art Press, Paris, n. 114, p. 40-42, mai 1987.). Le guerrier est proposé comme modèle pour le performer qui doit, lui aussi, faire face au danger afin d’atteindre la connaissance. Selon l’analyse de Monique Borie, Grotowski se réfère au guerrier également pour son ouverture au spirituel31 31 “Ainsi, Grotowski nous invite peut-être à voir derrière le terme de Performer [...] à la fois le danseur, le prêtre et le guerrier, dont le corps-danseur, dans le défi qu’il lance, semblable au combat du guerrier, est en quête d’une ouverture au spirituel” (Borie, 2011, p. 60). . Le rapport de Grotowski à la spiritualité, quel qu’en soit la forme, est un large et complexe sujet que je ne développerai pas ici. Cependant, on peut retenir que le Performer-guerrier est celui qui doit “[...] développer non pas un organisme-masse, un organisme de muscles, athlétique, mais un organisme-canal à travers lequel les énergies circulent, les énergies se transforment, le subtil est touché” (Schechner; Wolford, 1997SCHECHNER, Richard; WOLFORD, Lisa. The Grotowski Sourcebook. London and New York: Routledge, 1997., p. 378)32 32 “[...] develop not an organism-mass, an organism of muscles, athletic, but an organism-channel through which the energies circulate, the energies transform, the subtle is touched” (Traduit par nos soins). . Pour cela il lui faut mener un combat, développer “[...] un esprit de guerrier dans son attitude devant la vie, devant son métier, vis-à-vis de soi-même [...] la virtù du performer” (Flaszen, 2015FLASZEN, Ludwik. Grotowski et compagnie: Sources et variations. Lavérune: L’Entretemps, 2015., p. 385). La figure du guerrier avait déjà été convoquée par Antonin Artaud33 33 Dont Raymonde Temkine a pu affirmer que Grotowski était le “fils naturel” (Temkine, 1966). , dans le texte “Le Théâtre de Séraphin” (Artaud, 1964ARTAUD, Antonin. Le Théâtre et son double. Paris: Gallimard, 1964., p. 223-231), comme métaphore de sa conception de l’acteur. La vision hallucinée proposée par Artaud est celle d’un guerrier plongé dans une situation de fragilité extrême, seul humain capable d’émettre un cri total, à la fois “[...] neutre, féminin, masculin [...], un guerrier foudroyé [...] guerrier médusé [...] comme un guerrier qui n’aura plus d’armée [...]” (Artaud, 1964ARTAUD, Antonin. Le Théâtre et son double. Paris: Gallimard, 1964., p. 226-229). Pour réaliser le “don de soi” tel que Grotowski l’a pensé (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 36), le performer doit également en passer par un désarmement: “On s’arme pour se cacher; la sincérité commence là où on est sans défense [...]” a pu écrire Grotowski dans le texte Holiday (Schechner; Wolford, 1997SCHECHNER, Richard; WOLFORD, Lisa. The Grotowski Sourcebook. London and New York: Routledge, 1997., p. 223). Le guerrier qui peut être pris pour modèle par le performer devient alors le guerrier désarmé, qui peut atteindre la connaissance par l’acceptation du danger.

Ces références sont revendiquées par Przemyslaw Blaszczak qui cite souvent le texte Performer, et c’est ce performer-guerrier que le Kokyu Studio ambitionne de faire émerger en chacune des personnes qui viennent y travailler. Je propose maintenant de dégager, après quelques mois d’observations et de travail commun, une analyse des paradigmes fondamentaux de cette approche.

Zanshin: une notion clef pour le performer-guerrier

Pour définir la notion de zanshin, centrale dans toutes les pratiques martiales japonaises - kendo, kyudo, judo, aïkido etc. - le maître zen Deshimaru Taisen a proposé la formulation suivante: “Zanshin est ce qui demeure sans s’attacher, vigilant et détaché. Juste attentif à ce qui se passe, ici et maintenant” (Deshimaru, 1983DESHIMARU, Taisen. Zen et arts martiaux. Paris: Albin Michel, 1983., p. 54). L’anthropologue Tarik Mesli en livre quelques clefs:

Un état permanent de perception active que la tradition japonaise désigne par vigilance active [jp. zanshin; 残心]. Dans ce sens, mon corps vivant tend à l’appropriation de la distance [jp. ma; 間] qui me sépare de l’adversaire (l’objet de la conscience) pour tenter de faire Un [jp. ai; 合] et d’assembler les énergies de mon esprit et de mon corps qui sont éveillées, prêtes à se projeter (Mesli, 2013MESLI, Tarik. Anthropologie de la maîtrise de soi et conscience du corps martial. Corps, Paris, v. 1, n. 11, p. 141-150, 2013., p. 145).

Ce principe est en jeu dans l’ensemble de la pratique de l’aïkido, comme dans les randori - pratiques libres avec plusieurs attaquants - ou toute situation de combat - même s’il s’agit de combats arrangés - où la vigilance, l’attention détendue à ce qui peut advenir dans l’espace, est déterminante.

Przemyslaw Blaszczak se réfère au principe zanshin de façon récurrente et en précise le sens dans nos entretiens:

C’est une sorte de grande rapidité d’attention - dans la façon d’être dans ‘l’être’ et dans la perception de l’espace qui nous entoure [...]. Cette question de zanshin est évidemment aussi liée à la manière dont nous percevons la présence des autres dans l’espace ainsi que la présence des spectateurs (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.).

Percevoir la présence des partenaires, de l’espace, des spectateurs, permettrait au performer, comme au pratiquant d’art martial, de développer une capacité d’action et même de contrôle. “Nous devons donc être super-conscients de chaque changement dans l’espace qui nous entoure afin de pouvoir le contrôler” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.).

Outre les séances d’aïkido, beaucoup d’autres pratiques mettent en jeu la notion de zanshin au Kokyu Studio. Je m’attarderai sur l’exemple de l’exercice falling/flying [tomber/voler]. Le groupe évolue dans l’espace de la salle de répétition, se met d’abord en accord (intune) du point de vue de la dynamique et du rythme de marche, ce qui éveille la vigilance de chacun·e, puis deux consignes sont disponibles et peuvent être proférées à tout moment: Falling!: dans ce cas, celui/celle qui vient de l’annoncer s’effondre au sol et un partenaire doit lui servir de soutien pour accompagner sa chute en proposant un axe tout en respectant le sens de son corps; et Flying!: dans ce cas, tout le groupe se réunit pour soutenir le vol de la personne en question sur quelques pas. Il s’agit de réaliser un acte vrai - tomber ou voler sincèrement, sans tricher - pour que la situation soit réelle. Cet exercice de groupe fait appel à des qualités de “vigilance active” (Mesli, 2013MESLI, Tarik. Anthropologie de la maîtrise de soi et conscience du corps martial. Corps, Paris, v. 1, n. 11, p. 141-150, 2013., p. 145). Et lorsque le niveau de vigilance semble baisser Blaszczak demande de ne plus annoncer mais de déclencher le mouvement directement. Ainsi la prise de risque étant plus importante, la vigilance est réactivée.

Les personnes qui pratiquent régulièrement l’aïkido dans le groupe atteignent-elles davantage cet état de zanshin? Difficile de l’évaluer avec précision, les outils de mesure étant ici manquants, mais une observation détaillée du travail me permet d’en faire l’hypothèse. Il s’agit d’être vigilant et actif mais d’une façon non fixe, de garder une qualité d’autonomie dans l’attention à l’autre et à l’espace autour de soi. Pour cela des capacités physiques sont bien entendu en jeu - mobilité, capacité à soutenir l’autre, connaissance suffisante du corps pour maintenir les partenaires au bon endroit - mais ce qui est requis est aussi une connexion particulière de l’esprit et du corps, réalisant l’unité nécessaire à une vigilance active effective. Le transfert du principe zanshin de l’aïkido au travail du performer nourrit alors une démarche artistique dans laquelle la prise de risques est conçue comme une nécessité.

La Prise de Risques: le performer face au danger

À tous les niveaux de ce travail de laboratoire, il n’y a pas de sécurité pour le performer, la prise de risques doit être constante, réelle, non artificielle: No safety, no confort, big challenge!, pourra commenter Blaszczak lors d’une séance et définir ainsi la voie du guerrier et du performer35 35 Notes personnelles de travail, séance du 10 décembre 2020, programme annuel de formation et de recherche du Kokyu Studio, Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne. . Cette prise de risques est possible, selon lui, parce que l’aïkido joue le rôle de filet intérieur: “Les arts martiaux sont un filet pour le performer, un filet qui le soutient” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). Par la confiance que cette pratique lui confère - confiance dans les capacités de son corps, dans son rapport à l’espace et au partenaire - mais aussi par la possibilité d’expérimenter des dangers physiques dans le cadre contrôlé du dojo, le performer est en mesure de s’autoriser des prises de risques physiques, sensibles et émotionnels dans son art.

Durant la session de décembre 2020, Blaszczak propose une expérimentation de la marche sur le mur, à deux partenaires. Ce travail se déroule en plusieurs étapes et plusieurs jours. Il s’agit tout d’abord d’explorer la relation entre les partenaires et le mur, trouver les équilibres (Image 3), les potentialités de mouvements, puis de développer et de créer une composition à deux partenaires (Image 4).

Image 3
Exploration de la marche sur le mur, par Przemyslaw laszczak.
Image 4
Composition au mur, par Julia Lewandowska et Konrad Kozior.

La composition ne s’élabore qu’au fil des découvertes physiques, qui passent par des prises de risques de plus en plus importantes, variables selon les binômes. Les partenaires les plus en confiance travaillent en silence et découvrent par l’épreuve physique ce que les corps peuvent construire ensemble; ceux qui rencontrent des peurs, hésitent à prendre des risques et utilisent le dialogue verbal pour élaborer mentalement une composition qui sera, au final, visiblement plus narrative. Ici la prise de risques est à la fois condition et conséquence d’une approche sensible et corporelle de la composition de la performance.

Dans la performance ICTYR, plusieurs séquences reposent sur une prise de risques qu’à chaque représentation les comédiennes doivent relever. Par exemple, dans une scène au cours de laquelle elles chutent d’une table à de nombreuses reprises, la réalité du risque est essentielle pour que le sens de la scène émerge et que des peurs réelles apparaissent. Anita Szymanska affirme que sa première chute constitue un véritable défi pour elle et qu’elle “triche toujours” (Szymanska, 2020SZYMANSKA, Anita. Entretien personnel réalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 11 décembre 2020., n.p.), puis qu’elle gagne en confiance et en vérité au fil de la scène. Dans la séquence au cours de laquelle cette même comédienne marche sur des verres, les yeux bandés, guidée par une de ses partenaires, le risque physique est encore là et donne à voir à la fois une fragilité et une force du personnage (Image 5).

Image 5
I Come to You River - Ophelia Fractured, A. Szymanska et M.Walker.

Sur le plan émotionnel, Marie Walker décrit ce qu’elle ressent pendant la séquence Buy Me, un moment de la performance ICTYR où elle ne sait jamais comment le texte va s’exprimer sur sa partition gestuelle, un moment dangereux: “Si stressée et aussi si calme. C’est comme si je conduisais une voiture très vite et hors de contrôle, et que je savais que si j’avais un accident, je mourrais. C’est dangereux, ce n’est pas sûr du tout, c’est imprévisible. Je me sens très stressée mais très présente!” (Walker, 2020, n.p.). Ici le danger est émotionnel, sensible, dans le rapport au texte et crée la nécessité d’être totalement présente à ce qui veut se dire.

Si la capacité à prendre des risques apparaît comme une composante essentielle du travail du performer-guerrier, elle doit aussi pouvoir s’appuyer sur une science de la relation à l’autre.

Le Lien au Partenaire: la posture de l’uke

Le positionnement du performer au Kokyu Studio est calqué sur celui de l’uke dans la pratique de l’aïkido - l’uke étant littéralement celui qui reçoit la technique et chute en suivant son partenaire d’une façon fluide, une fluidité que l’on compare souvent à celle de l’eau. “Le bon uke suit l’impulsion de son partenaire et cela crée la forme” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). La forme - qui est une technique dans la pratique de l’aïkido - se découvre par son actualisation. Elle demande la qualité zanshin et une connexion au partenaire d’une qualité particulière qui s’affinent au fil du parcours de pratique.

Pour le performer, il s’agit d’adopter cette posture de l’uke sur plusieurs plans: avec le partenaire, avec le texte, avec ce qui advient dans la composition, sans l’anticiper. Toute anticipation mentale est un obstacle qu’il faut peu à peu dépasser.

Durant le workshop de mars 2020, une proposition d’exploration au bâton - jo d’aïkido - est réalisée à deux partenaires (Image 6): chacun·e assume les positions de leader et d’uke alternativement, puis cette délimitation des rôles disparaît et un équilibre s’établit entre impulsion et réception pour chacun·e des partenaires. Cet exercice met en jeu les qualités d’écoute, de disponibilité et de lien de l’uke qui découvre, par l’impulsion donnée par son partenaire, des formes et potentialités de mouvement de son propre corps. Chacun·e est engagé·e également à assouplir la relation dans les deux rôles pour parvenir à établir, malgré le jo qui crée un lien dur et fixe, une harmonie dans le mouvement commun.

Image 6
Pratique au jo, Marie Walker.

Marie Walker cite un autre exercice issu aussi de la pratique de l’aïkido qui a été déterminant pour elle:

L’exercice qui a vraiment transformé ma façon de bouger est celui dans lequel le partenaire nous saisit seulement par une articulation du corps qu’il fait pivoter pour que l’ensemble de notre corps ne bouge qu’à partir de cette prise. [...]. Pour moi, cet exercice fonctionne très bien parce que tout d’abord il faut accepter de confier son poids à quelqu’un, puis se laisser mouvoir, mais seulement dans la mesure de ce qui est nécessaire, et laisser son corps faire des mouvements étranges auxquels on ne s’attendait pas soi-même. [...] ça m’a fait bouger comme je n’avais jamais bougé avant (Walker, 2020WALKER, Marie. Entretien personnelréalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 14 décembre 2020., n.p.). (Image 7).

Image 7
Exercice des saisies.

Ainsi, elle rapporte qu’elle accepte d’entrer dans ce qui est induit dans son corps par la contrainte et l’impulsion du partenaire et se l’approprie ensuite de façon totalement libre, la deuxième phase de l’exercice étant de poursuivre le mouvement seul·e, en retrouvant la mémoire corporelle du parcours à deux. Par ailleurs elle pointe à plusieurs reprises ce que le rôle d’uke dans sa pratique de l’aïkido provoque pour elle:

Je veux dire spécifiquement qu’être uke est un entraînement extrêmement bénéfique, c’est la recherche d’un équilibre parfait: donner suffisamment à son partenaire et aussi accepter suffisamment, trouver l’équilibre parfait pour cela [...]. Pour donner au partenaire juste ce qu’il faut, c’est très difficile (Walker, 2020WALKER, Marie. Entretien personnelréalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 14 décembre 2020., n.p.).

Cet apprentissage de la posture de l’uke, tant dans la pratique de l’aïkido que dans la performance, ouvre la voie à une capacité de connexion particulière entre performers. Les trois comédiennes d’ICTYR le soulignent: leur lien sur le plateau est d’une qualité très subtile, qui ne passe ni par le regard ni par le contact, perceptible pourtant par le spectateur. Elles affirment en tirer une grande liberté et sécurité: “J’ai l’impression que nous pouvons faire n’importe quoi ensemble. Je me sens tellement en sécurité et invincible!” (Walker, 2020WALKER, Marie. Entretien personnelréalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 14 décembre 2020., n.p.). Connexion et confiance du performer dans son lien au partenaire sur scène semblent ainsi s’enrichir des diverses pratiques proposées pour développer la capacité d’être uke.

La Distribution de l’Energie

La question de l’énergie - ki en japonais - et de son développement est centrale dans toutes les pratiques martiales. La théorie de l’énergie en aïkido - dont le nom même porte la marque - est spécifique et a été formulée par son fondateur Ueshiba Morihei comme une énergie individuelle qui par la pratique et la respiration se relie à des énergies dépassant l’être humain. “Le fondateur de l’aïkido Ueshiba Morihei professait l’union du corps et de l’esprit ainsi que l’harmonisation de l’énergie dégagée par la respiration personnelle avec l’énergie, le souffle universel, ce qu’il exprimait par les mots ‘shinjin gôichi’ (fusion des dieux et de l’homme)” (Champault, 2000CHAMPAULT, Françoise. Apprendre par corps: problèmes relatifs aux implications psychologiques et morales de l’apprentissage dans les arts de combat au Japon. DARUMA Revue d’études japonaises, Toulouse, n. 8/9, p. 55-82, automne 2000., p. 65). La respiration [kokyu] est donc considérée comme le vecteur de cette énergie [ki] et le but de la pratique est de l’harmoniser avec les énergies supérieures.

Pour le performer, Jerzy Grotowski et Eugenio Barba ont proposé des approches très précises de cette notion d’énergie. Barba indique:

Pour l’acteur, l’énergie est un comment et non un quoi [...]. Avoir de l’énergie pour un acteur signifie savoir comment la modeler. Pour s’en faire une idée et la vivre en tant qu’expérience, il doit modifier artificiellement son trajet, en inventant des écluses, des digues, des canaux [...] (Barba, 2004BARBA, Eugenio. Canoë de papier. Saussan: L’Entretemps, 2004., p. 89, 91).

Mais aussi Barba se réfère au vocabulaire très concret des acteurs japonais de Kabuki pour qui l’énergie c’est le koshi, c’est-à-dire le bassin (Barba, 2004BARBA, Eugenio. Canoë de papier. Saussan: L’Entretemps, 2004., p. 42). Grotowski dans le texte Performer souligne également l’importance de la circulation des énergies, terme qu’il emploie au pluriel afin d’englober différents types d’énergie, le performer devant développer “[...] un organisme-canal par lequel les énergies circulent et se transforment [...]” (Schechner; Wolford, 1997SCHECHNER, Richard; WOLFORD, Lisa. The Grotowski Sourcebook. London and New York: Routledge, 1997., p. 378). Dans sa Leçon inaugurale au Collège de France il précise qu’il s’agit, pour le performer, de chercher “[...] les qualités de l’énergie [...]” permettant d’atteindre un “[...] niveau délicat, subtil, transparent” (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997., plage d’écoute 16). Il s’agit donc de parvenir à un niveau supérieur par “[...] un voyage d’une source plus vitale vers une source plus subtile et plus haute” (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997., plage d’écoute 77). Du point de vue de la circulation verticale de l’énergie, la pensée de Grotowski sur le performer, qui s’élabore hors de toute référence religieuse, peut être entendue comme un écho à celle de Ueshiba, conçue dans le cadre épistémologique du shintoïsme.

L’approche énergétique au Kokyu Studio se situe au croisement de ces différentes conceptions de la notion d’énergie et se décline sur deux niveaux: tout d’abord l’activation du centre énergétique du corps, énergie organique centrée sur le hara ou koshi, nommé aussi pelvis par Blaszczak; puis la distribution harmonieuse de l’énergie. “L’aïkido est un excellent outil pour apprendre comment entrer en connexion avec cette question de la distribution de l’énergie” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). En effet, dans les entraînements d’aïkido, les déplacements et projections se font à partir du hara/koshi/pelvis, le performer développant ainsi une conscience plus aiguë de ce centre énergétique en l’activant. Plusieurs éléments du Kokyu training visent également à cette activation - sauts à partir de la position seiza37 37 Terme japonais (assise juste) indiquant la position assise sur les talons, les genoux posés au sol, le dos droit. ou allongée au sol, extension du dos à partir du bassin, élévation du bas du corps à partir du sol. La distribution de l’énergie est abordée sur trois dimensions du travail du performer: son intériorité corporelle, sa relation au partenaire et sa performance. Dans le corps de l’acteur lui-même, les techniques d’aïkido, le Kokyu training et plusieurs propositions d’expérimentations théâtrales mettent en jeu la circulation interne de l’énergie. Par exemple, une improvisation proposée au cours de la Winterclass repose sur la visualisation d’un bol rempli de balles placé dans le hara. Dans le mouvement que le performer crée, il visualise les balles circulant à l’intérieur de son corps. Cet exercice a donné lieu à de puissantes improvisations corporelles dans lesquelles les performers ont réalisé un parcours très personnel basé uniquement sur la visualisation de la circulation interne de l’énergie. Dans la relation entre partenaires, il s’agit de donner de l’énergie et de la recevoir, comme nous l’avons abordé plus haut à propos du travail de l’uke. Enfin, pour le travail au plateau, l’enjeu est la distribution de l’énergie sur l’ensemble de la durée du spectacle. Pour ICTYR, l’équipe de création du Kokyu Studio, a répété la performance dans son entièreté pendant un mois. Tout au long de juillet 2020, les actrices ont ainsi chaque jour travaillé sur le geste d’ensemble de la structure de la performance qui avait été élaborée collectivement entre avril et juin. Blaszczak explique ainsi la nécessité de cette période consacrée aux répétitions de la performance entière:

Il faut encore comprendre quelle est la circulation de l’énergie pour en avoir assez jusqu’à la fin de la performance, pour arriver à la fin avec la bonne quantité de puissance, d’attention, d’énergie. Et je crois vraiment que pour travailler avec une composition faite de structures fixes, il faut avoir le temps de les habiter, de les incarner (embody), tellement que l’on peut arrêter d’y penser. La structure sera alors comme invisible et vous pourrez redécouvrir la liberté qui est offerte à travers elle (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.).

Ce travail d’activation du centre énergétique du pelvis et de circulation de l’énergie est également mis en relation avec la respiration et la voix. La pratique du Kokyu training est fréquemment accompagnée de sons vibratoires, suivant la série de voyelles du Tenshingoso - kata provenant du shintaïdo, qui associe cinq mouvements aux cinq sons de voyelles. La pratique vocale proposée par Joanna Kurzynska développe le lien corps-voix par la respiration à travers de nombreux exercices. Enfin, la pratique du misogi harai, dans le cadre des séances d’aïkido, offre également une exploration profonde du souffle et de la vibration, et active une énergie nouvelle - le principe de tout misogi étant d’effectuer un nettoyage afin de supprimer les obstacles à la Voie et à l’énergie (Stevens, 2003STEVENS, John. La Philosophie de l’aïkido. Noisy-sur-École: Budo Éditions, 2003., p. 48). L’association du travail vocal au travail énergétique martial vise ainsi à affiner l’énergie du performer pour atteindre une subtilité que tant Ueshiba que Grotowski ont recherché et théorisé, chacun en leur temps et dans leur domaine.

Spontanéité et Discipline/Structure dans l’Art du Performer-Guerrier

Le dialogue entre discipline et spontanéité dans le travail de l’acteur ou du performer a été mis en lumière par Artaud (1964)ARTAUD, Antonin. Le Théâtre et son double. Paris: Gallimard, 1964. puis développé et précisé de nombreuses fois par Grotowski:

L’un des plus grands dangers qui menacent l’acteur est, bien entendu, le manque de structure, le chaos. [...]. Je crois qu’il ne peut pas y avoir de processus créateur dans l’acteur s’il manque de discipline ou de spontanéité. Meyerhold a fondé son travail sur la discipline, sur la formation extérieure; Stanislavski, sur la spontanéité de la vie quotidienne. Il s’agit là, en fait, de deux aspects complémentaires du processus créateur (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 176).

Kokyu Studio aborde cette question en suivant deux voies: l’une étant celle de la pratique de l’aïkido qui se fonde sur l’apprentissage de structures très précises, voire contraignantes, d’une discipline du corps à travers laquelle le pratiquant recherche une liberté d’expression de son énergie, retrouvant la spontanéité du débutant; l’autre étant celle de la pratique théâtrale, où la recherche de structure prend son origine dans un jaillissement spontané, donc apparemment dans une dynamique inverse à celle de l’aïkido. Pour la création de la performance ICTYR, les actrices ont travaillé physiquement à partir de mots-clés, de façon très spontanée, avant de dégager et construire, au fil des répétitions, des partitions structurées de plus en plus épurées. Mais ensuite, durant la phase de répétitions, l’incarnation de la partition physique a permis de trouver une nouvelle spontanéité. Il s’agit donc d’une double dynamique: du spontané du performer à la structure et de la structure à un nouveau spontané libéré du performer. Le dialogue structure-spontanéité s’élabore ainsi dans les deux directions au cours du travail de création du Kokyu Studio. Cette approche est centrée sur le rapport de chacun·e à sa propre spontanéité, la discipline et la structure venant à la fois en amont - dans les techniques de l’aïkido - et en aval - dans l’élaboration des partitions scéniques - de cette spontanéité. Ainsi chaque performer en lui-même devient un microlaboratoire dans la création de ce dialogue. Ce cycle apparaît comme une possible réactualisation de ce que Grotowski a pu ainsi formuler: “[...] la spontanéité et la discipline, cette conjonction des opposés qui donne naissance à l’acte total” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 94).

Une Éthique Martiale pour le Performer

Jerzy Grotowski, dès ses premiers textes de l’époque du Théâtre Laboratoire, pose l’éthique du performer comme une condition essentielle du travail: “Le facteur décisif dans ce processus est l’humilité, une prédisposition spirituelle” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 36). Cette humilité doit ouvrir la voie au “don de soi” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 36) du performer. Et au-delà de l’humilité, le travail du performer grotowskien requiert, selon le témoignage de Ludwik Flaszen “Discipline absolue, courage, esprit de sacrifice à sa vocation, ne pas reculer devant le risque, attachement à des tâches dépassant ses propres possibilités, à la limite du ‘Grand Impossible’” (Flaszen, 2015FLASZEN, Ludwik. Grotowski et compagnie: Sources et variations. Lavérune: L’Entretemps, 2015., p. 385), tous ces éléments composant une éthique exigeante associée à “un esprit de guerrier” (Flaszen, 2015FLASZEN, Ludwik. Grotowski et compagnie: Sources et variations. Lavérune: L’Entretemps, 2015., p. 385).

Chaque pratique martiale possède son étiquette, ensemble de règles qui régit les relations au sein de la communauté de pratiquant·e·s, et ses valeurs éthiques qui en constituent le fondement. En particulier, les vertus du courage, de l’engagement et des “actes authentiques” [makoto en japonais] sont les bases de la pratique de l’aïkido selon son fondateur (Stevens, 2003STEVENS, John. La Philosophie de l’aïkido. Noisy-sur-École: Budo Éditions, 2003., p. 15-19). Ces règles éthiques sont souvent implicites mais sont mises en jeu dans la pratique elle-même et apparaissent comme des conditions à l’avancée de chaque pratiquant·e. Bien que les pratiquant·e·s européen·ne·s n’aient en général que partiellement accès au corpus de principes philosophiques et éthiques issu du shintoïsme, plusieurs participant·e·s du Kokyu Studio soulignent leur importance. Par exemple Julia Lewandowska, participante du programme annuel, estime que sa pratique de l’aïkido est avant tout centrée sur “[...] l’éthique et la discipline, plus que sur l’art martial lui-même” (Lewandowska, 2020LEWANDOWSKA, Julia. Entretien personnel réalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 9 décembre 2020., n.p.).

Dans les programmes de formation et de recherche, Blaszczak met en avant l’humilité du performer et pointe régulièrement combien l’ego est son ennemi: “Nous aimerions arriver à cela: une simplicité, une honnêteté dans l’acte” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). Et à propos de la direction du travail sur la performance ICTYR, il affirme: “Faisons ce que nous avons à faire! Nous devons juste être aussi honnête que possible dans l’action” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). Cette honnêteté du faire est ressentie par les comédien·ne·s du studio, que ce soit dans le groupe du programme ou dans l’équipe permanente, comme une nécessité exigeante. Konrad Kozior, jeune performer de 27 ans qui participe au programme, formule sa vision de son métier ainsi:

Vous travaillez et, par ce travail, vous dites quelque chose de très important aux autres, vous les influencez peut-être et par cette influence vous pouvez changer leur perception du monde. C’est une énorme responsabilité en tant qu’artiste. J’essaie donc de m’assurer que j’ai la meilleure formation possible, pour être une meilleure personne et apporter quelque chose de valable sur scène. C’est ce que j’essaie de faire dans ma vie (Kozior, 2020).

Konrad Kozior se dit très touché par le parallèle entre le performer et le guerrier, et cherche un positionnement artistique le plus honnête possible, dans un engagement total. Cette exigence s’apparente à ce que Grotowski a pu formuler à de nombreuses reprises: “L’accomplissement de l’acteur constitue une transcendance des demi-mesures de notre vie quotidienne” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 99).

Cette éthique d’honnêteté et de don a des conséquences dans les pratiques artistiques proposées au Kokyu Studio. Toute composition sur scène se structure à partir de la réalité du performer. Ainsi, la recherche de vérité intérieure vise à développer la capacité de créer à partir de soi, dans une lucidité et une honnêteté profondes. Dans les propositions faites aux comédien·ne·s du programme annuel, la création d’un Kintsugi38 38 Le Kintsugi (jointure en or) est l’art japonais de réparation des porcelaines à l’aide de poudre d’or. intérieur illustre cette démarche. Il s’agit de se représenter une brisure intérieure personnelle, puis de vivre intimement le processus du Kintsugi afin de composer, par étapes, une partition de gestes émotionnels. Ce travail sur les fragilités du performer, à l’aide des outils donnés par l’entraînement et les diverses expérimentations, peut être compris comme une mise en acte du guerrier désarmé d’Artaud, un guerrier capable de baisser les armes. Pour la création de la performance ICTYR, le même type de processus a été suivi: les comédiennes ont écrit des scènes à partir de leurs propres expériences sensibles de traumatismes de jeunes femmes, en référence au parcours du personnage d’Ophélie, dans Hamlet de William Shakespeare. Il ne s’agit donc pas pour elles d’interpréter Ophélie mais de créer à partir d’elles-mêmes, en toute honnêteté, une Ophélie. C’est la quête d’un acte total tel que Grotowski l’a défini: “Cet acte de dévoilement total d’un être devient une offrande en soi qui jouxte la transgression de barrières et l’amour. J’appelle cela un acte total” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 99). Aussi, cette approche de l’interprétation du texte et du personnage semble faire écho à ce que Grotowski avait proposé pour le personnage de Hamlet, par exemple: “Mais si Hamlet est pour vous un espace de vie, vous pouvez aussi vous mesurer à lui; non pas comme à un personnage, mais comme à un rayon de lumière tombant sur votre propre existence qui vous éclaire pour que vous ne mentiez pas, ne jouiez pas”39 39 “But if Hamlet is for you a living area, you can also measure yourself with him; not as which a character, but a ray of light, falling on your own existence, which illuminates you so that you will not lie, will not play” (Traduit par nos soins). (Schechner; Wolford, 1997SCHECHNER, Richard; WOLFORD, Lisa. The Grotowski Sourcebook. London and New York: Routledge, 1997., p. 219). Une honnêteté totale, sans mensonge, une éthique exigeante sont ainsi indispensables à l’acte total du performer.

La Culture de soi du Performer-Guerrier

Les arts martiaux peuvent être envisagés comme des “techniques de soi” visant à une “conversion à soi” (Foucault, 1984FOUCAULT, Michel. Histoire de la sexualité: T. III Le souci de soi. Paris: Tel-Gallimard, 1984., p. 89), ainsi que j’en ai proposé une analyse dans un précédent article40 40 “Leur portée automédiale travaille à une subjectivation du sujet en tant que ‘corps-esprit’; pratiques à la fois corporelles et spirituelles, elles participent à la conscience d’un soi holistique” (Drouelle, 2020, p. 98). . Le travail de laboratoire de Kokyu Studio propose cette exploration de soi-même par la confrontation de chacun·e à ses propres limites. Une recherche en tant que sujet qui constitue, pour certain·e·s participant·e·s, le moteur premier de leur implication qu’ils/elles formulent dans nos entretiens par des expressions telles que “[...] recherche de développement personnel [...], besoin d’écoute de ma connexion à moi-même, [...] quête visant à changer ma vie, à être plus moi-même” (Programme annuel, 2020PROGRAMME ANNUEL. Témoignages recueillis auprès de huit comédien·ne·s suivant le programme annuel du Kokyu Studio, Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 9-13 décembre 2020., n.p.).

Dans de nombreux textes, Grotowski a souligné la nécessité du performer de “[...] se révéler profondément à lui-même” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 98), de “[...] trouver une expression, un langage propre, une voie strictement personnelle” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 169), jusqu’à considérer in fine que cela constitue le but réel de l’art comme véhicule d’élévation de soi (Grotowski, 1995GROTOWSKI, Jerzy. De la compagnie théâtrale à l’art comme véhicule. In: RICHARDS Thomas. Travailler avec Grotowski. Arles: Actes Sud-Académie expérimentale des théâtres, 1995. P. 175-201.). Blaszczak estime que ce travail de connaissance de soi ne peut se faire que par une pratique approfondie:

[...] [en tant que performer] si vous avez une pratique parallèle très sérieuse, comme un art martial ou le yoga, elle peut vous donner des réponses sur les choses que vous faites inconsciemment dans votre art théâtral. Vous pouvez vous y confronter à différents obstacles ou mécanismes que vous pouvez cacher dans la pratique théâtrale et qui se présenteront. Ce sont deux voies qui ne font qu’une et cela peut être très stimulant et éducatif pour l’artiste, en restant constamment en confrontation avec lui-même (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.).

La pratique martiale permet de faire apparaître diverses émotions et réactions qui instruisent sur soi. Par exemple, Marie Walker me révèle qu’elle découvre sur les tatamis ses “parts d’ombre” (Walker, 2020WALKER, Marie. Entretien personnelréalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 14 décembre 2020., n.p.), sa capacité à haïr, sa violence; Julia Lewandowska que sa sensibilité peut y être heurtée jusqu’aux larmes, et beaucoup affirment y rencontrer leurs peurs et leurs limites. Mais cette expérimentation émotionnelle se fait, comme l’indique Marie Walker, dans une “[...] implication contrôlée [...] comme sur un terrain de jeu pour se tester soi-même par des voies différentes” (Walker, 2020WALKER, Marie. Entretien personnelréalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 14 décembre 2020., n.p.), voies différentes de celles du plateau.

La nécessité du dépassement des limites individuelles, essentiel dans les conceptions tant de Grotowski (1971, p. 44)GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971. que du fondateur de l’aïkido (Traversi, 2014TRAVERSI, Bruno. Le Corps et le sabre selon Ueshiba Morihei. Lille: Les Éditons du Cénacle, 2014., p. 64), est un des objectifs du Kokyu Studio. Anita Szymanska le perçoit ainsi: “Ce que je comprends de l’aïkido jusqu’à présent, c’est que vous êtes votre plus grand ennemi. La pratique vous force à repousser vos limites, à faire des choses que vous pensiez ne pas pouvoir faire” (Szymanska, 2020SZYMANSKA, Anita. Entretien personnel réalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 11 décembre 2020., n.p.). Dans divers témoignages des participant·e·s, cette “traversée des frontières” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.) est récurrente à propos des limites physiques, des sensations d’épuisement, des entraves mentales et émotionnelles, des potentialités vocales , mais aussi à propos des capacités de perception. En effet, la connaissance de soi par les pratiques proposées semble ouvrir sur des qualités intuitives nouvelles, comme les trois actrices le ressentent sur le plateau en évoquant leur connexion d’une nature particulière dans ICTYR, ou comme en témoigne Marie Walker qui se découvre une capacité à “voir derrière soi” (Walker, 2020WALKER, Marie. Entretien personnelréalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 14 décembre 2020., n.p.) pendant la pratique de l’aïkido. Ainsi, le dépassement des limites personnelles permettrait aussi le développement de l’intuition du performer.

Les témoignages recueillis permettent d’identifier chez les participant·e·s un approfondissement de la conscience de soi dans l’ici et maintenant, des partenaires et du plateau, une plus grande endurance physique et vocale, et une confiance dans la créativité personnelle. Il résulte donc de ce travail sur soi du performer-guerrier des modifications du rapport au présent de la scène, car, comme l’indique Blaszczak, “[...] ce qui est en jeu [dans le lien entre l’aïkido et la performance] est la question de la présence” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.).

La Ritualisation de la Performance

On connaît les réticences de Grotowski à se laisser enfermer dans une forme de spiritualité, de superstitions ou de croyances. Ludwig Flaszen en donne de nombreux témoignages (Flaszen, 2015FLASZEN, Ludwik. Grotowski et compagnie: Sources et variations. Lavérune: L’Entretemps, 2015.). Cependant, il affirmait situer son théâtre et le travail du performer du côté du sacré, un “[...] sacré laïc au théâtre” (Grotowski, 1971GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971., p. 48), hors de toute religion institutionnalisée ou système de croyances. Peter Brook, après avoir défini le théâtre sacré comme “[...] théâtre de l’invisible-rendu-visible” (Brook, 1977BROOK, Peter. L’Espace vide. Paris: Le Seuil, 1977., p. 65) formule ainsi sa perception du travail du Théâtre Laboratoire de Wroclaw: “Les acteurs de Grotowski offrent leur représentation comme une cérémonie à ceux qui désirent y assister: l’acteur invoque, met à jour ce qui gît au fond de chaque homme et que masque la vie quotidienne. Ce théâtre est sacré parce que son but est sacré” (Brook, 1977BROOK, Peter. L’Espace vide. Paris: Le Seuil, 1977., p. 87).

L’approche du théâtre développée par le Kokyu Studio se réfère largement à cette conception et l’associe à la dimension sacrée et ritualisée de l’aïkido et du misogi harai. Ces pratiques sont empreintes de la religion shinto et en ont gardé certaines de ses formes rituelles jusqu’à aujourd’hui - le lieu du dojo est organisé selon des règles rituelles, il est sacralisé par la présence symbolique des kamis [esprits], des formules particulières y sont employées, les comportements, les relations entre partenaires et avec le sensei [maître] y sont ritualisés. Cette culture du rituel entre en dialogue avec le théâtre que propose de développer Blaszczak au Kokyu Studio: “À l’origine, le théâtre était de l’ordre du rituel. Je cherche vraiment à retrouver cette fonction. Le théâtre a pour moi quelque chose de sacré” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). Son intérêt pour le rituel semble s’être construit au fil de ses choix artistiques, en particulier pendant les collaborations aux créations de Song of the Goat Theatre et de Teatr Zar, et s’est nourri de pratiques martiales.

Cette dimension est particulièrement présente dans la performance ICTYR qui s’ouvre, après trois sons de cloche évoquant une cérémonie zen, par le monologue de Gertrude annonçant la mort d’Ophélie. Les trois Ophélie se livrent alors à un rituel recomposé, basé sur la transformation d’un mouvement de taïso répété tout au long du texte, qui figure une tentative multiple de noyade, le texte étant proféré à trois voix au rythme de l’urgence de la révélation et de la respiration (Images 8, 9 et 10).

Images 8, 9 et 10
I Come to You River - Ophelia Fractured, Anita Szymanska, Martine Vrieling van Tuijl, Marie Walker.

Blaszczak l’explique ainsi: “Nous savons ce qui va se passer, tout est préparé, c’est un rituel. Dans la performance, les trois sons, signifient ‘nous refaisons ce rituel parce que c’est le moment juste’” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.), la cloche zen d’ouverture devenant ainsi le signe théâtralisé annonçant un rituel nécessaire. Et le public est partie prenante de ce rituel: “La présence de chaque spectateur est nécessaire, il est important d’être là, d’y prendre part” (Blaszczak, 2020BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020., n.p.). La dimension cathartique du théâtre, mettant en scène une question du réel - le suicide d’une adolescente, dont le personnage d’Ophélie est proposé ici comme l’archétype - nécessite selon lui cette forme ritualisée, en référence à la fonction antique du théâtre. De plus, par sa structure circulaire la performance se réfère également au rituel: ce qui est annoncé comme passé en début du spectacle, la mort d’Ophélie, est actualisé sur scène à la fin. Ce cycle rituel est comparé par Blaszczak aux cérémonies chrétiennes de Noël ou de Pâques, réactualisant chaque année naissance et mort de Jésus, ou encore aux cérémonies païennes célébrant le cycle des saisons. Et l’on ne peut que penser au performer décrit par Grotowski comme “un prêtre, un guerrier” (Schechner; Wolford, 1997SCHECHNER, Richard; WOLFORD, Lisa. The Grotowski Sourcebook. London and New York: Routledge, 1997., p. 376) et au “guerrier foudroyé” d’Artaud (1964, p. 226)ARTAUD, Antonin. Le Théâtre et son double. Paris: Gallimard, 1964. en observant le travail de ces trois jeunes actrices qui semblent si puissantes et acceptent le risque du dévoilement et du désarmement. Ainsi le performer-guerrier du Kokyu Studio aurait pour finalité artistique de se mettre au service d’une pratique théâtrale ritualisée se référant à la dimension sacrée de la scène.

Le Kokyu Studio se situe donc sur un terrain nouveau dans la galaxie post-grotowskienne: celui du performer-guerrier qui par son entraînement et les implications psycho-physiques et spirituelles de celui-ci, se transforme, suivant une démarche engageante cadrée par une discipline et une éthique qui lui servent de guide dans sa pratique artistique aussi bien que de structure dans son développement personnel. Ce travail de laboratoire se fonde sur une conception holistique de la personne du performer-guerrier. La démarche engagée depuis seulement cinq ans au Kokyu Studio semble ainsi ouvrir une voie pour un théâtre ritualisé contemporain reposant sur des principes issus des recherches menées par Jerzy Grotowski. Si Grotowski avait indiqué que les arts martiaux étaient, à certaines conditions, une voie possible pour le performer, il avait choisi d’autres moyens, comme il l’a réaffirmé lors de ses séminaires au Collège de France (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997., plage d’écoute 95). Après lui, quelques-uns des groupes d’artistes qu’il a inspirés, comme le Kokyu Studio, explorent les pratiques martiales. En Asie, le U-Theatre de Taïwan intègre les arts martiaux chinois à ses processus de création, après avoir fait un “détour en Occident” (Gauthard, 2019GAUTHARD, Nathalie. Retour aux sources par le détour en Occident: Jerzy Grotowski et le U-Theatre de Taïwan. L’Ethnographie, Paris, v. 1, 2019. Disponible sur: <https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=102>. Consulté le: 10 janvier 2020.
https://revues.mshparisnord.fr/ethnograp...
), c’est-à-dire après la rencontre avec le travail de Grotowski aux États-Unis. Dans le cas du Kokyu Studio, la dynamique transculturelle est également à l’œuvre et agit dans la direction inverse: un héritage grotowskien polonais étant ici nourri par des pratiques martiales d’Asie. Pourtant ces deux démarches semblent répondre à la même nécessité de concevoir le performer en guerrier, car, comme le remarque Ludwik Flaszen: “À l’image du samouraï, l’acteur est confronté à deux impératifs: être prêt à attaquer comme l’éclair et prompt à réagir à une attaque. On peut dire que le jeu de l’acteur est une lutte, comme le suggère Grotowski, avec les faiblesses cachées de l’homme” (Flaszen, 2015FLASZEN, Ludwik. Grotowski et compagnie: Sources et variations. Lavérune: L’Entretemps, 2015., p. 384).

Image 11
I Come to You River - Ophelia Fractured, Anita Szymanska.

Notes

  • 1
    Avec l’aide de l’École Doctorale EDESTA, Université Paris 8/Vincennes-Saint-Denis, France.
  • 2
    Lieu historique du Théâtre Laboratoire de Jerzy Grotowski, Wroclaw, Pologne.
  • 3
    En 2020, les participant·e·s sont venu·e·s de Pologne, Angleterre, Grèce, Turquie, Espagne, Allemagne, France, Italie, USA, malgré les restrictions sanitaires de mars à décembre 2020.
  • 4
    Je remercie chaleureusement pour leur accueil et leur participation à cette recherche Jaroslaw Fret, directeur de l’Institut Grotowski de Wroclaw et de la compagnie Teatr Zar, Przemyslaw Blaszczak et Joanna Kurzynska qui dirigent conjointement le Kokyu Studio, Anita Szymanska, Martine Vrieling van Tuijl et Marie Walker, les trois comédiennes permanentes du Kokyu Studio, ainsi que huit comédien·ne·s suivant le programme de formation annuel de formation et de recherche du Kokyu Studio en 2020-21.
  • 5
    Indiquée ICTYR dans la suite de cet article. Création au Festival Shakespeare de Gdansk (Pologne), novembre 2020.
  • 6
    Art martial japonais contemporain créé par Ueshiba Morihei entre les années 1920 et 1940.
  • 7
    Pratique rituelle de purification basée sur le souffle et le cri.
  • 8
    Avec le Workcenter of Jerzy Grotowski and Thomas Richards, Pontedera (Italie).
  • 9
    Jaroslaw Fret est également chanteur, performer, metteur en scène et directeur de la compagnie Teatr Zar.
  • 10
    “Pourquoi avons-nous choisi trois arts martiaux différents, issus de traditions très différentes? [...] Au début, ma question était: comment la colonne vertébrale fonctionne-t-elle dans différentes traditions? Parce que le souffle est l’action fondamentale et la colonne vertébrale est l’instrument fondamental. Donc, par ces différents arts martiaux, je voulais étudier, ce que signifie pratiquer cet instrument [...]. Mais la plus profonde raison de ce choix était la recherche d’une définition de l’Autre. Qui est en face? C’est une question fondamentale pour l’acteur” (Fret, 2020FRET, Jaroslaw. Entretien personnel, visioconférence du 30 avril 2020., n.p.).
  • 11
    Expression utilisée à plusieurs reprises par Jerzy Grotowski (1995, p. 189)GROTOWSKI, Jerzy. De la compagnie théâtrale à l’art comme véhicule. In: RICHARDS Thomas. Travailler avec Grotowski. Arles: Actes Sud-Académie expérimentale des théâtres, 1995. P. 175-201. à l’époque de “[...] l’art comme véhicule” pour indiquer la dimension subtile de l’énergie.
  • 12
    Kokyu Nage = projections par la respiration; Kokyu Ho = grande respiration; Shin Kokyu Ho = grande respiration en lien avec le ciel.
  • 13
    Il est actuellement 3e Dan de l’Aïkikaï de Wroclaw et enseigne dans son dojo.
  • 14
    Bien qu’il n’ait rencontré Grotowski lui-même qu’à une seule occasion em 1997.
  • 15
    Proche collaborateur de Jerzy Grotowski au théâtre d’Opole puis à Wroclaw jusqu’en 1967.
  • 16
    Acteur et metteur en scène proche collaborateur de Jerzy Grotowski pendant la période du Parathéâtre jusqu’en 1975, puis fondateur du Gardzienice Centre for Theatre Practices (Pologne).
  • 17
    Voir supra, note 9.
  • 18
    Metteur en scène et directeur de la compagnie Attis Theatre (Athènes, Grèce) et président du Comité International des Jeux Olympiques du Théâtre.
  • 19
    Blaszczak a joué dans Mauser de Heiner Muller, mis en scène par Theodoros Terzopoulos en 2012 et a été formé pour enseigner la méthode Terzopoulos en Pologne.
  • 20
    Texte publié dans la revue Tygodnik Kulturalny (Varsovie, 17/1967), réédité dans Grotowski (1971, p. 95-100)GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971..
  • 21
    J’ai assisté en particulier à la projection de la captation du Prince Constant, présentée au groupe du Kokyu Studio par le documentaliste de l’Institut Grotowski qui a pris soin de la contextualiser et d’en donner quelques clefs.
  • 22
    Qui se déroule sur la base forestière de l’Institut Grotowski à Brzezinka.
  • 23
    Mot japonais signifiant littéralement lieu de la Voie, le dojo est l’espace consacré à la pratique martiale.
  • 24
    Pratique interne japonaise permettant la préparation physique et psychique avant les séances d’aïkido, et qui peut aussi se pratiquer de façon autonome.
  • 25
    Art martial japonais contemporain.
  • 26
    Ce dialogue est analysé dans la deuxième partie du présent article.
  • 27
    Trois performances du Kokyu Studio ont été représentées depuis sa création: Welcome to My House: a Meditation on ‘The Woman in the Dunes’ (2016), Halo (2018) et I Come to You River - Ophelia Fractured (2020).
  • 28
    Une première version de ce texte a été rendue publique par Georges Banu sous la forme d’un ensemble de notes prises lors de discussions avec Jerzy Grotowski (Banu, 1987BANU, Georges. Grotowski à l’académie de Pontedera. Art Press, Paris, n. 114, p. 40-42, mai 1987.). Jerzy Grotowski l’a ensuite modifiée et a publié sa version definitive en 1988 dans Workcenter of Jerzy Grotowski, Pontedera, Italie, Centro per la Sperimentazione e la Ricerca Teatrale (1988, p. 36-41); réédité dans Schechner et Wolford (1997, p. 376-380).
  • 29
    Performer, with a capital letter, is a man of action. He is not somebody who plays another. He is a doer, a priest, a warrior; he is outside aesthetic genres. [...] all scriptures speak of the warrior. You can find him in the Hindu tradition as well as the African one. He is somebody who is conscious of his own mortality. [...] To conquer knowledge he fights, because the pulsation of life becomes stronger and more articulated in the moments of great intensity, of danger. Danger and chance go together” (Traduit par nos soins).
  • 30
    Hordes rebelles composées souvent de brahmanes ayant rompu avec leur caste, présentes dans plusieurs textes hindous, dont le Rig Veda et le Tandya-Mahâbrâhmana. Selon les sources, elles regroupent ascètes errants, médecins, guerriers, ou encore magiciens adorateurs des éléments de la nature. Par ailleurs, Grotowski les compare aux gnostiques chrétiens (Grotowski, 1997GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel. Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997., plage d’écoute 67).
  • 31
    “Ainsi, Grotowski nous invite peut-être à voir derrière le terme de Performer [...] à la fois le danseur, le prêtre et le guerrier, dont le corps-danseur, dans le défi qu’il lance, semblable au combat du guerrier, est en quête d’une ouverture au spirituel” (Borie, 2011BORIE, Monique. Grotowski et Barba sur la voie du théâtre-danse. Études Théâtrales, Paris, n. 47-48, p. 55-65, 2011., p. 60).
  • 32
    “[...] develop not an organism-mass, an organism of muscles, athletic, but an organism-channel through which the energies circulate, the energies transform, the subtle is touched” (Traduit par nos soins).
  • 33
    Dont Raymonde Temkine a pu affirmer que Grotowski était le “fils naturel” (Temkine, 1966TEMKINE, Raymonde. Fils naturel d’Artaud. Les Lettres Nouvelles, Paris, mai-juin 1966.).
  • 34
    “We arm ourselves in order to conceal ourselves; sincerity begins where we are defenseless [...]” (Traduit par nos soins).
  • 35
    Notes personnelles de travail, séance du 10 décembre 2020, programme annuel de formation et de recherche du Kokyu Studio, Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne.
  • 36
    “[...] an organism-channel through which the energies circulate, the energies transform [...]” (Traduit par nos soins).
  • 37
    Terme japonais (assise juste) indiquant la position assise sur les talons, les genoux posés au sol, le dos droit.
  • 38
    Le Kintsugi (jointure en or) est l’art japonais de réparation des porcelaines à l’aide de poudre d’or.
  • 39
    “But if Hamlet is for you a living area, you can also measure yourself with him; not as which a character, but a ray of light, falling on your own existence, which illuminates you so that you will not lie, will not play” (Traduit par nos soins).
  • 40
    “Leur portée automédiale travaille à une subjectivation du sujet en tant que ‘corps-esprit’; pratiques à la fois corporelles et spirituelles, elles participent à la conscience d’un soi holistique” (Drouelle, 2020DROUELLE, Carole. Théâtre et art martial comme médiateurs de soi et de l’indicible. Le Sujet dans la cité - Actuels, Paris, n. 9, p. 97-107, mars 2020., p. 98).
  • 41
    Anita Szymanska et Marie Walker témoignent du fait que la pratique du misogi harai leur permet de découvrir de nouvelles dimensions de leurs voix, donc de mieux connaître leurs capacités vocales.
  • 42
    William Shakespeare, Hamlet, (acte IV, scène 7).
  • 43
    Sen shin kokyu, mouvement pratiqué en ouverture de séance dans certaines écoles d’aïkido pour purifier l’âme par la respiration. Il s’agit de profondes expirations en basculant le tronc en avant. Dans cette première scène du spectacle, les comédiennes plongent leur visage dans un aquarium rempli d’eau à chaque fin d’expiration.
  • 44
    “[...] a priest, a warrior [...]” (Traduit par nos soins).
  • Ce texte inédit, révisé par André Mubarack, est également publié en portugais dans ce numéro.

Références

  • ARTAUD, Antonin. Le Théâtre et son double Paris: Gallimard, 1964.
  • BANU, Georges. Grotowski à l’académie de Pontedera. Art Press, Paris, n. 114, p. 40-42, mai 1987.
  • BARBA, Eugenio. Canoë de papier Saussan: L’Entretemps, 2004.
  • BLASZCZAK, Przemyslaw. Entretiens personnels réalisés à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 11-12 mars, 11-14 décembre 2020.
  • BORIE, Monique. Grotowski et Barba sur la voie du théâtre-danse. Études Théâtrales, Paris, n. 47-48, p. 55-65, 2011.
  • BROOK, Peter. L’Espace vide Paris: Le Seuil, 1977.
  • CHAMPAULT, Françoise. Apprendre par corps: problèmes relatifs aux implications psychologiques et morales de l’apprentissage dans les arts de combat au Japon. DARUMA Revue d’études japonaises, Toulouse, n. 8/9, p. 55-82, automne 2000.
  • DESHIMARU, Taisen. Zen et arts martiaux Paris: Albin Michel, 1983.
  • DROUELLE, Carole. Théâtre et art martial comme médiateurs de soi et de l’indicible. Le Sujet dans la cité - Actuels, Paris, n. 9, p. 97-107, mars 2020.
  • FLASZEN, Ludwik. Grotowski et compagnie: Sources et variations. Lavérune: L’Entretemps, 2015.
  • FOUCAULT, Michel. Histoire de la sexualité: T. III Le souci de soi. Paris: Tel-Gallimard, 1984.
  • FRET, Jaroslaw. Entretien personnel, visioconférence du 30 avril 2020.
  • GAUTHARD, Nathalie. Retour aux sources par le détour en Occident: Jerzy Grotowski et le U-Theatre de Taïwan. L’Ethnographie, Paris, v. 1, 2019. Disponible sur: <https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=102>. Consulté le: 10 janvier 2020.
    » https://revues.mshparisnord.fr/ethnographie/index.php?id=102
  • GROTOWSKI, Jerzy. Vers un théâtre pauvre Lausanne: L’Âge d’Homme, 1971.
  • GROTOWSKI, Jerzy. De la compagnie théâtrale à l’art comme véhicule. In: RICHARDS Thomas. Travailler avec Grotowski Arles: Actes Sud-Académie expérimentale des théâtres, 1995. P. 175-201.
  • GROTOWSKI, Jerzy. La Lignée organique au théâtre et dans le rituel Paris: Collège de France, Le Livre qui parle, 1997.
  • KNEBEL, Maria. L’Analyse-Action Arles: Actes Sud-Papiers, 2006.
  • KURZYNSKA, Joanna. Entretien personnel, visioconférence du 21 janvier 2021.
  • MESLI, Tarik. Anthropologie de la maîtrise de soi et conscience du corps martial. Corps, Paris, v. 1, n. 11, p. 141-150, 2013.
  • LEWANDOWSKA, Julia. Entretien personnel réalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 9 décembre 2020.
  • LINKLATER, Kristin. Freeing the Natural Voice: Imagery and Art in the Practice of Voice. London: Drama Publishers, 2006.
  • PAILLÉ, Pierre; MUCCHIELLI, Alex. L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales Paris: Armand Colin, 2003.
  • PROGRAMME ANNUEL. Témoignages recueillis auprès de huit comédien·ne·s suivant le programme annuel du Kokyu Studio, Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, 9-13 décembre 2020.
  • SCHECHNER, Richard; WOLFORD, Lisa. The Grotowski Sourcebook London and New York: Routledge, 1997.
  • STEVENS, John. La Philosophie de l’aïkido Noisy-sur-École: Budo Éditions, 2003.
  • SZYMANSKA, Anita. Entretien personnel réalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 11 décembre 2020.
  • TEMKINE, Raymonde. Fils naturel d’Artaud. Les Lettres Nouvelles, Paris, mai-juin 1966.
  • TRAVERSI, Bruno. Le Corps et le sabre selon Ueshiba Morihei Lille: Les Éditons du Cénacle, 2014.
  • WALKER, Marie. Entretien personnelréalisé à l’Institut Grotowski, Wroclaw, Pologne, le 14 décembre 2020.

Edited by

Rédactrice responsable: Anna Mirabella

Publication Dates

  • Publication in this collection
    24 Sept 2021
  • Date of issue
    2021

History

  • Received
    03 Feb 2021
  • Accepted
    13 May 2021
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